vendredi 27 avril 2012

Un Tour d’horizon


           Queen débarque en 1971 dans un milieu rock anglais bien fourni. En effet, la scène rock londonienne du début des années 1970 est en pleine effervescence. Les nouvelles têtes sont nombreuses et parmi les plus talentueuses. Une nouvelle ère commence avec notamment l’arrivé de Led Zeppelin en 1969 qui ouvre la voie pour plusieurs groupes de hard rock. Ils poussent le British Blues à l’extrême pour obtenir un nouveau son caractéristique de la puissance de frappe anglaise dans le domaine. Jimmy Page apparait comme un grand guitariste pour le public. Il fait parti d’un trio anglais de talent réunissant en plus Jeff Beck et Eric Clapton. Jeff Beck sera l’une des sources d’inspiration des plus marquantes pour Brian May.
            En deux ans seulement le monde du rock va être chamboulé, révolutionné. Les Beatles, qui étaient jusque là les maitres penseurs, vont se faire surpasser par une nouvelle scène. Le festival de Woodstock et dans une plus large mesure, le Festival de l’île de Wight 1970 vont clore la période Peace & Love et sa musique psychédélique. Tout ceci se mélange tragiquement à la mort de Brian Jones en juillet 1969, la séparation des Beatles en mai 1970, la mort de Jimi Hendrix en septembre 1970, la mort de Janis Joplin en octobre 1970 et la mort de Jim Morrison en juillet 1971.  D’un autre coté, un bouquet de jeunes groupes va s’imposer au cœur du vivier londonien, sur les scènes de clubs. En janvier 1969, les Yardbirds sont mort, Led Zeppelin sort son premier album éponyme. Nous sommes loin du blues gentillet des Rolling Stones des débuts. Abrupt et lourdeur vont faire la loi dans les Top50 de l’époque. L’offensive créative se poursuit avec la sortie du très innovent In the Court of the Crimson King en octobre 1969 de King Crimson, premier groupe de rock progressif reconnu. Un autre artiste débarque, David Bowie signe Space Oddity en novembre 1969 L’année 1970 est une déferlante d’albums pionniers, fondateurs d’une nouvelle scène britannique solide. Tout d’abord en février, le premier album de Black Sabbath débarque, en juin Deep Purple in rock énerve, Very ‘eavy …Very ‘Umble d’Uriah Heep surprend, Fire and water de Free s’impose. Nous pouvons alors distinguer trois genres majeurs se partageant le marché : le hard rock et heavy metal naissant (Led Zeppelin, Deep Purple, Free …), le rock progressif (King Crimson, Yes, Genesis, Gentle Giant …) et le glam rock (David Bowie, T Rex …).
Les quatre membres de Queen grandissent musicalement dans ce monde, côtoyant Free, Wishbone Ash et Yes et rêvant de Jimi Hendrix. L’univers dans lequel progresse Smile, le groupe de Brian May et Roger Taylor associés au chanteur et bassiste Tim Staffell, est tourné vers l’ouverture musicalement. De son coté, le jeune Freddie Mercury s’amuse à imiter Jimi Hendrix qu’il adule. Il ne cesse d’écouter les tubes d’Elvis Presley, son autre idole. Ici on constate un effet de mode ; le rock and roll américain retrouve une certaine popularité dans le milieu glam-rock. Les jeunes groupes tels qu’Ibex (l’un de premier groupe de Freddie Mercury) ou Smile reprennent régulièrement des classiques américains sur scène. C’est une caractéristique de base dans le milieu glam rock. Beaucoup de jeunes musiciens veulent associer la finesse des arrangements de la pop-music que représentaient les Beatles et la fougue énergique des rockeurs américains des années 1950. Mott the Hoople et Status Quo sont de parfaits exemples.
Le glam rock est une scène très vivante en 1971 à Londres. Si le hard rock demande une bonne connaissance du blues et un groupe aux musiciens techniquement solides, le glam rock se satisfait de peu. L’originalité se retrouve sur scène, dans les compositions et dans la folie musicale. Au-delà de la passion pour le rock’n’roll de la deuxième moitié des années 1950, la mise en scène prend une importance capitale. L’accès aux scènes des clubs anglais est plus facile que celui des studios. Pour entrer un studio il faut sortir du lot au milieu de cette population musicale nombreuse et débordante d’idées. Des groupes comme Yes peuvent sortir la tête de l’eau par leur qualité de musiciens et de compositeurs. Par ces talents, les prestations live sont quasiment assurées. Or les musiciens glam sont souvent des musiciens aux qualités techniques moindres qu’il faut masquer avec des éclairages, des costumes et autres trompe-l’œil. David Bowie est un piètre musicien à ses débuts ou plus précisément un mauvais soliste. Mais il est doué d’un sens mélodique hors pair associé au gout du spectacle. Un tel artiste sans groupe ne serai sorti du lot en 1967 mais en 1972 quand il invente l’histoire de Ziggy Stardust, il s’entour de bons musiciens et s’applique à produire quelques mélodies intelligentes. L’assemblage des tous ces éléments va produire une musique sophistiquée et de qualité sans perdre la fraîcheur auditive propre à toute bonne chanson populaire.
Quand Queen arrive dans ce milieu glam-rock, ils vont immédiatement se mettre en décalage avec le reste de la scène. Oui ils sont glam-rock pour leurs tenues scéniques androgynes (rapport avec le dandysme, le théâtre de la Grèce Antique), mais ils sont aussi hard rock par les talents de guitariste de Brian May. Brian May ne peut pas être exclusivement rapporté au monde du glam-rock ou au monde du hard rock. Son jeu structuré, séquencé, hargneux, puissant se détache totalement du blues, racine du hard rock anglais et d’un grand nombre de guitaristes phares d’alors. Or quand il trafique sa guitare pour trouver les sonorités d’une trompette bouchée ou d’une clarinette, l’humour et l’amour des années folles et le son jazz de bigband le plonge directement dans la joie du glam rock. Son registre est si vaste qu’il n’hésite pas à jouer sur tous les plans (pop, punk, folk, blues, hard rock, heavy metal). Néanmoins il n’est pas un compositeur imaginatif et retombe immanquablement dans ses racines hard rock ou il s’amuse à écrire quelques belles balades. Son génie pour la guitare sera largement valorisé par la fibre créative et délirante de Freddie Mercury. Cette paire de musiciens va se compléter pendant plusieurs années. Il est impassable de dissocier Brian May et le son de sa Red Special et Freddie Mercury et son timbre de voix du groupe Queen. Voilà par quelle voie, l’ingénieux groupe Queen va percer dans ce monde cruel et sans pitié dont le public est le seul juge.
            Après les nombreuses difficultés que le groupe doit surmonter pour atteindre finalement la plus haute marche du podium, Queen va sans cesse prendre conscience de sa place sur le marché de la musique. En 1975, lorsque Bohemian Rhapsody est au sommet des charts anglais, le glam-rock est sur la pente descendante, rattrapé en premier lieu pour une pop souvent mielleuse manquant d’intérêt et par la suite par le punk abrasif, détruisant tout sur son passage même l’indéboulonnable rock progressive et le massif hard rock. Les mastodontes des ventes d’album sont dans la plus grande détresse. Led Zeppelin se perd dans la drogue, Deep Purple se chamaille la place de leader, David Bowie patauge dans l’isolement et Pink Floyd se repose après deux énormes succès. Dans cette interface affaiblie, Queen surpasse tout le monde sans prétention et avec les honneurs. En 1976, nos quatre garçons vont remettre le couvert avec un album plus évident dans son approche sans pour autant perdre en qualité. A Day at the Races clôture magistralement une série hors-norme d’album chef-d’œuvre. Beaucoup de personnes ont dû craindre, à juste titre, la suite des évènements pour ce groupe au sommet depuis plus de deux ans. Solide comme un seul homme, Queen relève le défi de traverser le champ de mines punk imposé par cette bruyante nouvelle scène anglaise. Le massif We will rock you va faire taire les mauvaises langues, le succès est énorme, sans précédent pour Queen. News of the World, le nouvel album, est peut être plus simple dans ses compositions (et encore It’s Late est une chanson qu’il fallait pondre en 1977), ce qui leur sera critiqué. Or au milieu de la déferlante punk, sortir un A Night at the Opera aurait surement enterré le groupe dans l’échec populaire. Intelligemment et sensible à l’évolution de la scène rock, Queen publie des titres simples (We will rock you et We are the Champions), violent (Sheer heart attack), tristes (All dead, all dead) et hard rock (It’s late). Suite à ce surprenant succès, le groupe poursuit l’aventure avec Jazz en 1978. Jamais Queen ne se repose ? Désormais ils sont indestructibles, personne ne peut les abattre. Queen recommence à faire du Queen. C'est-à-dire qu’ils vont appliquer la bonne recette du « je fais comme il me plait » et Mercury signe quelques délires qui lui sont propre et qui lui vont si bien. Mustapha est un exemple. Le simpliste Bicycle Race et le brutal Fat Bottomed girls (la contre-offensive punk se poursuit) ravirent les radios. Don’t stop me now charme n’importe quel auditeur. Si Queen est toujours aussi bien placé dans les top50, ils sont aussi dans le cœur des spectateurs car le groupe royal ne cesse de tourner du Japon à l’Europe en passant par les Etats Unis. Après la sortie d’un double album live, Queen retrouve les studios pour finalement présenter son huitième album studio. The Game est encore un énorme carton mais un virage est amorcé. Le groupe, qui était si fier de sortir des albums sans synthétiseurs, va ici proposer son premier disque avec ces machines. On n’a du l’éviter de justesse avec Jazz, finalement bien plus pop que les précédents (surtout le précédent, News of the world, particulièrement hard rock). The Game entre définitivement dans la musique grand public. Oui il y a du bon dans ce qui est proposé au grand public. Queen forçait le passage avec des chansons originales (Bohemian Rhapsody). Puis, de peur de quitter son statu de superstar, ils vont assurer avec des balades (Save Me, Play the Game), oser faire du funk blanc (Another one Bites the Dust) et du rockabilly (Crazy Little thing called love) ce qui sauve l’album de la catastrophe qu’ils ne cessent de repousser. Another one bites the dust profite de l’énorme mouvement à succès du funk américain qui déboule sur les pistes de danses des boites de nuit. La suite sera moins évidente. Ce qui manque véritablement à Queen sur The Game est le grain de folie qui épatait la galerie à chaque sortie d’album (Mustapha, Sheer Heart Attack, Millionnaire Waltz …).
A trop vouloir en faire, Queen se disperse, en 1980, dans l’écriture d’une musique de film, Flash Gordon. Nos amis Brian May et Roger Taylor se sont surement amusés de mettre en musique un héros de comics de leur enfance mais ils sont tombés bien bas musicalement avec ce disque brouillon entaché de clichés typique des années 80. Après une nouvelle tournée harassante, les quatre anglais sont en studio. Il faut craindre le pire, la New Wave est au sommet en Angleterre et le disco et le funk envahissent les ondes radios nord américaine. Freddie Mercury est aux commendes et impose en grande partie la musique funk comme ligne directrice de l’album. Hot Space (le titre fait référence aux boites de nuit) se tourne vers les pistes de danses (avant le débarquement de Michael Jackson c’est osé) dans l’espoir d’y introduire quelques soupçons de Red Special au cœur des nuits chaudes et endiablées de Chicago ou New York. Un peu funk, un peu disco, un peu rock, la magie n’opère pas. Queen perd son public rock ou pop/rock et n’arrive pas à toucher le monde cruel de la nuit. Si Another one bites the dust avait plu en 1980, le coup de génie était surement unique. Les Etats Unis boudent sans commune mesure l’album et le groupe ne tournera plus jamais sur le sol nord américain car son succès est très ébranlé par cette regrettable erreur stratégique. Les conséquences sont dramatiques, au-delà de la perte du marché nord-américain, les quatre commencent à se désunir. Freddie Mercury entraine le groupe dans une voie qui n’est pas souhaitée par Brian May. Et l’on sait très bien que si ce tandem ne fonctionne pas, la machine Queen capote. Un temps de pause est nécessaire. Chacun entame une carrière solo, échappatoire en 1983. Ressourcé, Queen revient solide comme un roc avec The Works. Cette fois-ci la prise de risque n’existe plus. Queen regarde dans le rétroviseur et voit The Game. Dans le même chaudron avec la même recette saupoudrée de quelques grammes de sucre en plus, le succès est énorme. Qualitativement il ne faut pas chercher une mine d’or. La masse a voulue entendre du Queen pop, sirupeux, dénaturé par cette satanée batterie électronique et les synthétiseurs inaudibles aujourd’hui. Queen n’est plus royal (« J’impose ma musique aux autres ») mais un simple serviteur de luxe à l’infâme décennie. Brian May est surement dégouté d’avoir si peu su imposer son hard rock (aussi FM qu’il soit) ne laissant derrière lui que le bon Hammer to fall. Le rouleau compresseur commercial n’a pas fini d’avancer, nous sommes qu’à la première moitié des années 1980. En 1986, après l’hypnotique Live Aids 1985, Queen revient avec un album un peu bizarre, mi album traditionnel, mi album de bande originale de film. Mais rien n’y fait, c’est du Queen, Mercury chante sur ce disque, les mélodies sont si accrocheuses que le succès de A Kind of Magic ne fait pas défaut au groupe. Brian May a surement remis les pendules à l’heure, Freddie Mercury a eu le temps de s’amuser en solo, la Red Special reprend les rennes de la Reine. Le travail sur le film Highlander est surement stratégique. Le film est américain où le succès de Queen est en berne depuis bientôt six ans. Négocier un retour gagnant par le truchement d’une B.O. de film est bien pensé. Or le film ne marche pas outre-Atlantique. La manœuvre est un échec supplémentaire.
            Mais tout à une fin, aussi dramatique peut elle être. Freddie Mercury est contaminé par le SIDA, il garde le secret mais pour son entourage la maladie de la diva ne fait aucun doute. Les heures sont comptées. C’est dur à avaler mais il faut bien faire avec. Queen revient en 1989 avec son treizième album, The Miracle. Le succès ne leur échappe pas, I want it all est l’énorme tube (la chanson la plus rock de l’album, la preuve que le public voulait cette musique de la part de Queen). Dans l’ensemble, ce disque est encore très ancré dans les années 1980. Ils se sont totalement débarrasser des maladresses funk ou électro mais ils continuent inlassablement avec une pop adolescente. Finalement ça perd son charme avec le temps. Mais il ne faut pas perdre son temps qui leur est si précieux. Innuendo débarque sans prévenir en 1991, le chant du cygne, la messe est dite, voici le requiem de Queen. Après vingt ans de déboire musicaux, après avoir arpenté tous les continents de la terre, après avoir exploré tant de facettes musicales, après avoir surement tout dit, Freddie Mercury et ses hommes suent jusqu’à la dernière goutte d’eau de leurs corps pour ce dernier opus. Ce disque est un hors série. Toute la carrière de Queen se résume dans ces quelques chansons. Innuendo représente le meilleur, Headlong le hard rock, The Hitman le heavy metal, I am going slitghly mad les pépites, Delilah le mauvais. The Show must go on est le point final. Le succès est grand, il renait même outre Atlantique. La maladie, saloperie de maladie, eut raison du leader de Queen le 24 novembre 1991, mettant fin à l’immense carrière de groupe.
            Voilà vingt ans de plus de passer. Que reste-t-il de Queen ? Sans grands efforts de la part des survivants, Queen restent populaire. Pendant les cinq ans qui suivirent la mort de Freddie Mercury, les trois autres restèrent soudés et firent marcher la machine. Un concert hommage est organisé en grande pompe à Wembley Stadium en 1992, le groupe sort, sous la pression, l’abominable Made in Heaven à titre posthume en 1995. Le succès est encore énorme. Puis un ultime hommage sort en 1997, avec pour la dernière fois la participation de John Deacon, No one but you (only the good die young). Suite à ça plus rien de marquant jusqu’au douteux et incongru retour scénique et studio avec le chanteur Paul Rodgers. Décevant en tout point, l’aventure s’arrête rapidement suite à l’échec de The Cosmos Rocks en 2008.