Queen débarque en 1971 dans un milieu
rock anglais bien fourni. En effet, la scène rock londonienne du début des
années 1970 est en pleine effervescence. Les nouvelles têtes sont nombreuses et
parmi les plus talentueuses. Une nouvelle ère commence avec notamment l’arrivé
de Led Zeppelin en 1969 qui ouvre la voie pour plusieurs groupes de hard rock.
Ils poussent le British Blues à l’extrême pour obtenir un nouveau son caractéristique
de la puissance de frappe anglaise dans le domaine. Jimmy Page apparait comme
un grand guitariste pour le public. Il fait parti d’un trio anglais de talent
réunissant en plus Jeff Beck et Eric Clapton. Jeff Beck sera l’une des sources
d’inspiration des plus marquantes pour Brian May.
Les quatre
membres de Queen grandissent musicalement dans ce monde, côtoyant Free,
Wishbone Ash et Yes et rêvant de Jimi Hendrix. L’univers dans lequel progresse
Smile, le groupe de Brian May et Roger Taylor associés au chanteur et bassiste
Tim Staffell, est tourné vers l’ouverture musicalement. De son coté, le jeune
Freddie Mercury s’amuse à imiter Jimi Hendrix qu’il adule. Il ne cesse
d’écouter les tubes d’Elvis Presley, son autre idole. Ici on constate un effet
de mode ; le rock and roll américain retrouve une certaine popularité dans
le milieu glam-rock. Les jeunes groupes tels qu’Ibex (l’un de premier groupe de
Freddie Mercury) ou Smile reprennent régulièrement des classiques américains
sur scène. C’est une caractéristique de base dans le milieu glam rock. Beaucoup
de jeunes musiciens veulent associer la finesse des arrangements de la
pop-music que représentaient les Beatles et la fougue énergique des rockeurs
américains des années 1950. Mott the Hoople et Status Quo sont de parfaits
exemples.
Le glam rock est
une scène très vivante en 1971 à Londres. Si le hard rock demande une bonne
connaissance du blues et un groupe aux musiciens techniquement solides, le glam
rock se satisfait de peu. L’originalité se retrouve sur scène, dans les
compositions et dans la folie musicale. Au-delà de la passion pour le rock’n’roll
de la deuxième moitié des années 1950, la mise en scène prend une importance
capitale. L’accès aux scènes des clubs anglais est plus facile que celui des
studios. Pour entrer un studio il faut sortir du lot au milieu de cette
population musicale nombreuse et débordante d’idées. Des groupes comme Yes
peuvent sortir la tête de l’eau par leur qualité de musiciens et de
compositeurs. Par ces talents, les prestations live sont quasiment assurées. Or
les musiciens glam sont souvent des musiciens aux qualités techniques moindres
qu’il faut masquer avec des éclairages, des costumes et autres trompe-l’œil.
David Bowie est un piètre musicien à ses débuts ou plus précisément un mauvais
soliste. Mais il est doué d’un sens mélodique hors pair associé au gout du
spectacle. Un tel artiste sans groupe ne serai sorti du lot en 1967 mais en
1972 quand il invente l’histoire de Ziggy Stardust, il s’entour de bons
musiciens et s’applique à produire quelques mélodies intelligentes.
L’assemblage des tous ces éléments va produire une musique sophistiquée et de
qualité sans perdre la fraîcheur auditive propre à toute bonne chanson
populaire.
Quand Queen
arrive dans ce milieu glam-rock, ils vont immédiatement se mettre en décalage
avec le reste de la scène. Oui ils sont glam-rock pour leurs tenues scéniques
androgynes (rapport avec le dandysme, le théâtre de la Grèce Antique), mais ils
sont aussi hard rock par les talents de guitariste de Brian May. Brian May ne
peut pas être exclusivement rapporté au monde du glam-rock ou au monde du hard
rock. Son jeu structuré, séquencé, hargneux, puissant se détache totalement du
blues, racine du hard rock anglais et d’un grand nombre de guitaristes phares
d’alors. Or quand il trafique sa guitare pour trouver les sonorités d’une
trompette bouchée ou d’une clarinette, l’humour et l’amour des années folles et
le son jazz de bigband le plonge directement dans la joie du glam rock. Son
registre est si vaste qu’il n’hésite pas à jouer sur tous les plans (pop, punk,
folk, blues, hard rock, heavy metal). Néanmoins il n’est pas un compositeur imaginatif
et retombe immanquablement dans ses racines hard rock ou il s’amuse à écrire
quelques belles balades. Son génie pour la guitare sera largement valorisé par
la fibre créative et délirante de Freddie Mercury. Cette paire de musiciens va
se compléter pendant plusieurs années. Il est impassable de dissocier Brian May
et le son de sa Red Special et Freddie Mercury et son timbre de voix du groupe
Queen. Voilà par quelle voie, l’ingénieux groupe Queen va percer dans ce monde
cruel et sans pitié dont le public est le seul juge.
Après
les nombreuses difficultés que le groupe doit surmonter pour atteindre
finalement la plus haute marche du podium, Queen va sans cesse prendre
conscience de sa place sur le marché de la musique. En 1975, lorsque Bohemian Rhapsody est au sommet des
charts anglais, le glam-rock est sur la pente descendante, rattrapé en premier
lieu pour une pop souvent mielleuse manquant d’intérêt et par la suite par le
punk abrasif, détruisant tout sur son passage même l’indéboulonnable rock
progressive et le massif hard rock. Les mastodontes des ventes d’album sont
dans la plus grande détresse. Led Zeppelin se perd dans la drogue, Deep Purple
se chamaille la place de leader, David Bowie patauge dans l’isolement et Pink
Floyd se repose après deux énormes succès. Dans cette interface affaiblie,
Queen surpasse tout le monde sans prétention et avec les honneurs. En 1976, nos
quatre garçons vont remettre le couvert avec un album plus évident dans son
approche sans pour autant perdre en qualité. A Day at the Races clôture magistralement une série hors-norme
d’album chef-d’œuvre. Beaucoup de personnes ont dû craindre, à juste titre, la
suite des évènements pour ce groupe au sommet depuis plus de deux ans. Solide
comme un seul homme, Queen relève le défi de traverser le champ de mines punk
imposé par cette bruyante nouvelle scène anglaise. Le massif We will rock you va faire taire les
mauvaises langues, le succès est énorme, sans précédent pour Queen. News of the World, le nouvel album, est
peut être plus simple dans ses compositions (et encore It’s Late est une chanson qu’il fallait pondre en 1977), ce qui leur
sera critiqué. Or au milieu de la déferlante punk, sortir un A Night at the Opera aurait surement
enterré le groupe dans l’échec populaire. Intelligemment et sensible à
l’évolution de la scène rock, Queen publie des titres simples (We will rock you et We are the Champions), violent (Sheer
heart attack), tristes (All dead, all
dead) et hard rock (It’s late).
Suite à ce surprenant succès, le groupe poursuit l’aventure avec Jazz en 1978. Jamais Queen ne se
repose ? Désormais ils sont indestructibles, personne ne peut les abattre.
Queen recommence à faire du Queen. C'est-à-dire qu’ils vont appliquer la bonne
recette du « je fais comme il me plait » et Mercury signe quelques
délires qui lui sont propre et qui lui vont si bien. Mustapha est un exemple. Le simpliste Bicycle Race et le brutal Fat
Bottomed girls (la contre-offensive punk se poursuit) ravirent les radios. Don’t stop me now charme n’importe quel
auditeur. Si Queen est toujours aussi bien placé dans les top50, ils sont aussi
dans le cœur des spectateurs car le groupe royal ne cesse de tourner du Japon à
l’Europe en passant par les Etats Unis. Après la sortie d’un double album live,
Queen retrouve les studios pour finalement présenter son huitième album studio.
The Game est encore un énorme carton
mais un virage est amorcé. Le groupe, qui était si fier de sortir des albums
sans synthétiseurs, va ici proposer son premier disque avec ces machines. On
n’a du l’éviter de justesse avec Jazz,
finalement bien plus pop que les précédents (surtout le précédent, News of the world, particulièrement hard
rock). The Game entre définitivement
dans la musique grand public. Oui il y a du bon dans ce qui est proposé au
grand public. Queen forçait le passage avec des chansons originales (Bohemian Rhapsody). Puis, de peur de
quitter son statu de superstar, ils vont assurer avec des balades (Save Me, Play the Game), oser faire du funk blanc (Another one Bites the Dust) et du rockabilly (Crazy Little thing called love) ce qui sauve l’album de la
catastrophe qu’ils ne cessent de repousser. Another
one bites the dust profite de l’énorme mouvement à succès du funk américain
qui déboule sur les pistes de danses des boites de nuit. La suite sera moins
évidente. Ce qui manque véritablement à Queen sur The Game est le grain de folie qui épatait la galerie à chaque
sortie d’album (Mustapha, Sheer Heart Attack, Millionnaire Waltz …).
A trop vouloir
en faire, Queen se disperse, en 1980, dans l’écriture d’une musique de film, Flash Gordon. Nos amis Brian May et
Roger Taylor se sont surement amusés de mettre en musique un héros de comics de
leur enfance mais ils sont tombés bien bas musicalement avec ce disque
brouillon entaché de clichés typique des années 80. Après une nouvelle tournée
harassante, les quatre anglais sont en studio. Il faut craindre le pire, la New
Wave est au sommet en Angleterre et le disco et le funk envahissent les ondes
radios nord américaine. Freddie Mercury est aux commendes et impose en grande
partie la musique funk comme ligne directrice de l’album. Hot Space (le titre fait référence aux boites de nuit) se tourne
vers les pistes de danses (avant le débarquement de Michael Jackson c’est osé)
dans l’espoir d’y introduire quelques soupçons de Red Special au cœur des nuits
chaudes et endiablées de Chicago ou New York. Un peu funk, un peu disco, un peu
rock, la magie n’opère pas. Queen perd son public rock ou pop/rock et n’arrive
pas à toucher le monde cruel de la nuit. Si Another
one bites the dust avait plu en 1980, le coup de génie était surement
unique. Les Etats Unis boudent sans commune mesure l’album et le groupe ne
tournera plus jamais sur le sol nord américain car son succès est très ébranlé
par cette regrettable erreur stratégique. Les conséquences sont dramatiques,
au-delà de la perte du marché nord-américain, les quatre commencent à se
désunir. Freddie Mercury entraine le groupe dans une voie qui n’est pas
souhaitée par Brian May. Et l’on sait très bien que si ce tandem ne fonctionne
pas, la machine Queen capote. Un temps de pause est nécessaire. Chacun entame
une carrière solo,
échappatoire
en 1983. Ressourcé, Queen revient solide comme un roc avec The Works. Cette fois-ci la prise de risque n’existe plus. Queen
regarde dans le rétroviseur et voit The
Game. Dans le même chaudron avec la même recette saupoudrée de quelques
grammes de sucre en plus, le succès est énorme. Qualitativement il ne faut pas
chercher une mine d’or. La masse a voulue entendre du Queen pop, sirupeux,
dénaturé par cette satanée batterie électronique et les synthétiseurs
inaudibles aujourd’hui. Queen n’est plus royal (« J’impose ma musique aux
autres ») mais un simple serviteur de luxe à l’infâme décennie. Brian May
est surement dégouté d’avoir si peu su imposer son hard rock (aussi FM qu’il
soit) ne laissant derrière lui que le bon Hammer
to fall. Le rouleau compresseur commercial n’a pas fini d’avancer, nous
sommes qu’à la première moitié des années 1980. En 1986, après l’hypnotique
Live Aids 1985, Queen revient avec un album un peu bizarre, mi album
traditionnel, mi album de bande originale de film. Mais rien n’y fait, c’est du
Queen, Mercury chante sur ce disque, les mélodies sont si accrocheuses que le
succès de A Kind of Magic ne fait pas
défaut au groupe. Brian May a surement remis les pendules à l’heure, Freddie
Mercury a eu le temps de s’amuser en solo, la Red Special reprend les rennes de
la Reine. Le travail sur le film Highlander est surement stratégique. Le film
est américain où le succès de Queen est en berne depuis bientôt six ans. Négocier
un retour gagnant par le truchement d’une B.O. de film est bien pensé. Or le
film ne marche pas outre-Atlantique. La manœuvre est un échec supplémentaire.
Mais
tout à une fin, aussi dramatique peut elle être. Freddie Mercury est contaminé
par le SIDA, il garde le secret mais pour son entourage la maladie de la diva
ne fait aucun doute. Les heures sont comptées. C’est dur à avaler mais il faut
bien faire avec. Queen revient en 1989 avec son treizième album, The Miracle. Le succès ne leur échappe
pas, I want it all est l’énorme tube
(la chanson la plus rock de l’album, la preuve que le public voulait cette
musique de la part de Queen). Dans l’ensemble, ce disque est encore très ancré
dans les années 1980. Ils se sont totalement débarrasser des maladresses funk
ou électro mais ils continuent inlassablement avec une pop adolescente.
Finalement ça perd son charme avec le temps. Mais il ne faut pas perdre son
temps qui leur est si précieux. Innuendo
débarque sans prévenir en 1991, le chant du cygne, la messe est dite, voici le
requiem de Queen. Après vingt ans de déboire musicaux, après avoir arpenté tous
les continents de la terre, après avoir exploré tant de facettes musicales,
après avoir surement tout dit, Freddie Mercury et ses hommes suent jusqu’à la
dernière goutte d’eau de leurs corps pour ce dernier opus. Ce disque est un
hors série. Toute la carrière de Queen se résume dans ces quelques chansons. Innuendo représente le meilleur, Headlong le hard rock, The Hitman le heavy metal, I am going slitghly mad les pépites, Delilah le mauvais. The Show must go on est le point final. Le succès est grand, il
renait même outre Atlantique. La maladie, saloperie de maladie, eut raison du
leader de Queen le 24 novembre 1991, mettant fin à l’immense carrière de groupe.
Voilà
vingt ans de plus de passer. Que reste-t-il de Queen ? Sans grands efforts
de la part des survivants, Queen restent populaire. Pendant les cinq ans qui
suivirent la mort de Freddie Mercury, les trois autres restèrent soudés et
firent marcher la machine. Un concert hommage est organisé en grande pompe à
Wembley Stadium en 1992, le groupe sort, sous la pression, l’abominable Made in Heaven à titre posthume en 1995.
Le succès est encore énorme. Puis un ultime hommage sort en 1997, avec pour la
dernière fois la participation de John Deacon, No one but you (only the good die young). Suite à ça plus rien de
marquant jusqu’au douteux et incongru retour scénique et studio avec le
chanteur Paul Rodgers. Décevant en tout point, l’aventure s’arrête rapidement
suite à l’échec de The Cosmos Rocks
en 2008.